MÉMOIRE DES SERVICES
AUX VICTIMES D’OTTAWA
CONSULTATIONS PRÉBUDGÉTAIRES DE 2012
Résumé
Les Services aux victimes d’Ottawa (SVO) sont un organisme
communautaire qui a à cœur de traiter les victimes avec courtoisie, compassion
et respect pour leur dignité, leur vie privée et leur diversité. Les SVO
fournissent du soutien émotionnel, de l’aide pratique, des recommandations et
la défense de leurs droits aux personnes qui ont été victimes d’un crime ou de
circonstances tragiques, sans les juger, afin d’atténuer l’incidence de la
victimisation.
Les victimes d’actes criminels ont reçu une attention sans
précédent de la part du gouvernement fédéral ces dernières années, mais les
discussions n’ont que peu à voir avec les difficultés auxquelles les clients
des SVO sont confrontés et les mesures prises en leur nom n’auront que peu d’impact
sur leurs besoins quotidiens.
La plus grande partie de l’attention du gouvernement
fédéral a été consacrée à une législation pénale qui punit plus sévèrement les
auteurs d’une infraction, en tant que moyen de répondre aux besoins des
personnes qui ont été victimisées. Ces mesures populaires permettent peut-être
aux gens de se sentir mieux, y compris certaines victimes de crime, mais leur
utilité est faible pour ce qui est de protéger le public et encore moindre
quand il s’agit d’aider les victimes et les familles que nous rencontrons tous
les jours.
Mieux que la plupart des gens, les organismes de
services aux victimes comprennent les problèmes complexes auxquelles les
victimes sont aux prises ainsi que les difficultés financières des organismes
communautaires qui tentent de les aider. Nous savons également que lorsque les
gouvernement consacrent des ressources publiques limitées à l’accroissement du
nombre de prisons, aux frais d’administration des tribunaux, à l’augmentation
du nombre de procès, etc., ils ne peuvent utiliser ces mêmes ressources pour
des logements sûrs et abordables pour les femmes qui fuient des relations de
violence, une meilleure coordination des services pour les enfants victimes,
des refuges pour les adolescents exploités ou du soutien pour les hommes
victimes.
Les SVO recommandent que des mesures soient prévues pour les
problèmes suivants dans le Budget de 2012 : i) les centres d’intervention
en faveur de l’enfant; ii) une stratégie nationale sur le logement et iii) les
suramendes compensatoires destinées aux victimes. La situation financière
demeure délicate et nous comprenons la difficulté de trouver de nouveaux fonds
pour de nouveaux programmes, mais il est possible de trouver des ressources si
le programme du gouvernement en matière de justice pénale est revu de manière
sérieuse et réfléchie.
RECOMMANDATIONS
1. Accroître le financement destiné aux centres d’intervention en faveur de l’enfant
En 2009, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes
criminels a recommandé que le ministre de la Justice établisse un fonds pour
contribuer à soutenir la croissance des centres d’intervention en faveur de l’enfant
(CIFE). En octobre 2010, le Ministre a annoncé 5 millions de dollars sur
cinq ans à cette fin. Depuis, bien des collectivités des quatre coins du pays
ont eu recours au fonds. Récemment, le Manitoba a annoncé la fondation du
premier CIFE de la province.
La mission des CIFE consiste à se concentrer sur les enfants
victimes d’abus et à aider les enfants et les familles à s’engager sur la voie
de la guérison. Ils rassemblent en un seul lieu les spécialistes qui
soutiennent les enfants victimes afin qu’ils puissent se concentrer sur l’intérêt
supérieur des enfants – les corps policiers, les services de protection de
l’enfance, les services aux victimes, les soins de santé, etc. Bien que les
services offerts varient, ceux dont la liste suit sont des éléments clés du
modèle des CIFE. Ils incluent :
- Des installations adaptées aux enfants;
- Des équipes multidisciplinaires (services d’application de la loi, services de protection de l’enfance, poursuites, santé mentale, médecine et défense des victimes);
- Des entrevues judiciaires;
- Une évaluation médicale/thérapeutique;
- L’examen et le suivi des dossiers.
Le rapport annuel de la National Children Alliance des États-Unis
déclare que le coût d’une enquête sur un cas de violence faite aux enfants dans
une collectivité dotée d’un CIFE est réduit de 45 pour cent par rapport à au
coût correspondant dans une collectivité qui n’en possède pas. Des évaluations
du Crimes Against Children Research Center ont permis de constater que les
territoires disposant d’un CIFE bénéficient d’une meilleure coordination des
enquêtes, de taux plus élevés d’aiguillages vers les services de santé mentale.
Elles indiquent aussi que les parents sont plus satisfaits et que les enfants
sont moins effrayés qu’en l’absence de tels services. On trouve des
centaines de CIFE aux États-Unis, mais ceux du Canada se comptent sur les
doigts d’une main. Du travail est accompli dans plusieurs collectivités pour
accroître ce nombre. Le financement fédéral est utile, mais il est clairement
insuffisant. À titre de comparaison, la veille de l’annonce par le ministre de
la Justice de l’affectation de 5 millions de dollars sur cinq ans, le ministre
de la Sécurité publique a annoncé d’autres dépenses de 150 millions pour
les prisons.
La présence de ces centres comporte des avantages évidents pour les
enfants mais aussi des avantages économiques. La Commission du droit du Canada
rapporte que la violence faite aux enfants coûte au Canada environ 15 milliards
de dollars par an. Les enfants victimes de violence fréquentent davantage les
hôpitaux. Une fois adultes, ils peuvent être moins productifs, risquent
davantage d’abuser de l’alcool et des drogues. Les filles en particulier sont
exposées à un risque accru de grossesse précoce, ils peuvent éprouver davantage
de problèmes à l’école, et ainsi de suite. La liste est longue et les coûts s’additionnent.
Ce ne sont pas tous les enfants victimes de violence qui ont de tels problèmes
mais les CIFE peuvent contribuer à atténuer les risques pour les enfants qui
fréquentent de tels centres.
Lorsqu’un enfant confie à quelqu’un qu’il est victime de
maltraitance, nous devons nous assurer qu’il recevra les meilleurs soins
possibles. Les CIFE sont le meilleur outil pour s’occuper des victimes et ils
sont rentables au point de vue économique.
Nous recommandons que, dans le Budget de 2012, on accroisse de
manière importante le financement des centres d’intervention en faveur de l’enfant.
2. Élaborer une stratégie nationale sur le logement qui met l’accent sur la violence faite aux femmes
« Le logement est l’élément
central de toute solution au problème de la violence contre les femmes au
Canada. La violence conjugale est le facteur qui souvent provoque ou
contribue pour beaucoup à l’itinérance, tandis que l’absence de logements
sécuritaires, sécurisants et abordables est le facteur clé les forçant à rester
emprisonnées dans une relation abusive. Le logement ressort dans les écrits
comme étant l’élément le plus susceptible de prévenir les épisodes répétés de
violence[1]. »
(YWCA Canada)
Bien qu’il ne constitue pas le seul obstacle pour les
femmes qui tentent d’échapper à une relation marquée par la violence, le
logement sur et abordable est l’un des plus importants (l’absence d’aide
juridique est l’autre). En raison de l’absence d’options en matière de
logement, les femmes qui pensent à fuir peuvent décider de rester avec un
partenaire violent et les femmes qui sont parties peuvent croire qu’elles n’ont
pas le choix et doivent revenir. La difficulté est plus grande encore pour les
femmes handicapées, immigrantes ou qui vivent dans le Nord ou en région
éloignée.
Parce que nos clients sont constamment aux prises avec
des problèmes de logement, les SVO se joignent à de nombreux autres organismes
pour demander une stratégie nationale sur le logement. Nous avons constaté à
quel point le fait de disposer d’un logement abordable et sûr peut faire la
différence entre une femme qui demeure dans une relation de violence, parfois
avec ses enfants, et une qui la quitte. Selon le YWCA, « tous les ans, la
violence et les abus poussent 100 000 femmes et enfants à fuir leur
résidence pour une maison de refuge d’urgence. Un nombre plus élevé encore
vivent dans les rues de nos villes, dans la pauvreté et sont exposées quotidiennement
au harcèlement sexuel et à la violence[2]. »
Là encore, il existe de solides arguments économiques en faveur d’une
telle politique. Le coût estimatif annuel de la violence faite aux femmes au
Canada se chiffre en milliards de dollars. Pendant qu’elles vivent dans une
relation de violence ou dans la rue, ces femmes peuvent ne pas travailler.
Elles peuvent avoir recours aux services de santé et être incapables de
fonctionner de manière autonome. Le fait de leur procurer un logement adéquat
et sûr peut être la première étape qui permettra à beaucoup d’entre elles de
mener une vie libre de violence et de contribuer à la société.
Nous ne donnons pas de coût estimatif pour une telle stratégie, car
les estimations diffèrent; mais il n’y a aucun doute que le coût de la mise en
œuvre d’une telle stratégie sera élevé. La question que le comité devrait se
poser n’est pas « Combien cette stratégie nous coûterait-elle? » mais
plutôt « À quel point, et pendant combien de temps, sommes-nous prêts à
continuer de payer si nous ne la mettons pas en œuvre, et combien de femmes et
d’enfants sommes-nous prêts à abandonner à une vie de violence et de
désespoir? » Les coûts de ces situations pour le régime de soins de santé
et le système judiciaire sont relativement faciles à chiffrer, mais celui qui
se traduit par une perte de qualité de vie pour les femmes qui vivent la
violence ou les enfants qui grandissent dans un tel climat est incommensurable.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral, en collaboration
avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, élabore et mette en œuvre
une stratégie nationale complète sur le logement qui tienne compte des
problèmes des femmes qui fuient la violence dans le Budget de 2012.
3. Suramendes compensatoires destinées aux victimes
Dans le discours du Trône de 2010, le gouvernement s’est engagé à
modifier le Code criminel pour rendre obligatoires les suramendes
compensatoires destinées aux victimes (SCDV), mais aucune modification
législative n’a encore été déposée. Cet engagement a été répété durant la
campagne électorale, et il reste à voir si cette modification législative fera
partie du projet de loi omnibus sur la criminalité que le Premier ministre s’est
engagé à adopter dans les 100 jours qui suivront la reprise des travaux
parlementaires.
LA SCDV est une amende qui doit être imposée aux condamnés au
moment de l’établissement de leur peine. Les fonds ainsi recueillis seraient
versés aux gouvernements provinciaux pour le financement des services aux
victimes. Les SCDV ont été créées en 1989 et modifiées en 1999 pour en rendre l’imposition
obligatoire, mais la modification apportée n’a eu que peu d’impact parce que
les juges n’appliquent pas la loi de la manière prévue par le Parlement. Dans
certaines provinces, les SCDV sont obligatoires.
Le Code criminel porte que les juges doivent imposer une SCDV dans
toutes les affaires, bien qu’il existe un pouvoir discrétionnaire limité si le
fait de l’imposer à la personne auteure de l’infraction constituerait un
fardeau excessif pour elle ou pour ses personnes à charge. Si le tribunal
renonce à imposer la suramende, il est tenu de donner les motifs de sa
décision. En dépit de ces exigences, les auteurs d’un rapport du ministère de
la Justice du Canada intitulé Imposition de la suramende compensatoire fédérale
au Nouveau-Brunswick : un examen opérationnel, constatent que les juges
renoncent automatiquement à la suramende et, dans la plupart des cas où
celle-ci n’a pas été imposée, les motifs de la décision n’ont pas été
consignés. Par conséquent, la plupart des autorités l’ont perçu qu’une fraction
des revenus prévus dont ils ont besoin pour soutenir les services aux victimes.
La réalité est que les services communautaires aux victimes (comme
les SVO) sont privés de millions de dollars qui pourraient être consacrés à la
création de nouveaux services et/ou à l’amélioration des services existants.
Les organismes communautaires ont de la difficulté à répondre aux besoins de
leurs clients et leur capacité de s’occuper des problèmes nouveaux tels que les
crimes de haine, la traite de personnes et la victimisation des personnes
handicapées est faible, voire nulle. Une telle modification législative n’aurait
pas de répercussions financières importantes pour le gouvernement fédéral parce
que les fonds viennent des délinquants et que ce sont les gouvernements
provinciaux qui les gèrent.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral dépose un projet
de modification du Code criminel pour rendre les suramendes compensatoires
destinées aux victimes obligatoires afin d’aider les gouvernements provinciaux
à soutenir les organismes communautaires qui procurent du soutien et des
services aux victimes d’actes criminels.